2 juin 2010

Tête De Lune

Il le savait. C’était dur pour lui de ne pas tout avouer, de tout lui dire, là, maintenant, à cette petite gueule fragile. Si fragile qu’elle l’avait attendrit toutes ces années, ce mastodonte d’un mètre quatre vingt dix, presque deux, musclé comme un bœuf aux hormones, trop musclé, à tel point que la plupart des femmes rencontrés avant elle n’y voyait justement qu’un bœuf, qu’un beauf. C’est vrai qu’il pouvait faire peur avec sa carrure et son manque de sourire sur un visage marqué par la dureté de la solitude, et aussi par ses goûts vestimentaires rudimentaires. Mais il leurs auraient suffi de faire un effort, de l’appréhender sans son enveloppe corporelle, et elles y auraient vu un tout autre homme, en fait un enfant. Un enfant de trente quatre ans, qui aimait la poésie de Rimbaud, les dessins animés et discuter émotions.

Elles ne l’ont jamais vu ainsi, ces femmes d’avant ces trente deux ans, mais elle, oui. Bien qu’elle aimait son côté rassurant, sa douceur apparente ne pouvait qu’assouvir son besoin de tendresse, et dans sa bouche, même quand elle le disputait, la moindre insulte, même portée haut, résonnait comme les mots d’une mère qui gronde son enfant sans pouvoir y mettre une once de colère. En bref, elle l’avait séduit, sans même le vouloir, sa petite tête de lune.

Mais la voilà, après deux ans de vie commune, face à lui, avec toujours sa douceur, sa candeur et sa petite tête ronde, qui ne pouvait plus désormais caché à ses yeux experts… L’énorme part d’ombre qui s’était creusé. Ce cratère sur sa joue, qu’elle lui avait caché en l’emplissant de fard et qui portait un nom. Un nom barbare donc masculin : Franck. Franck l’astronaute caché, un corps d’enfant cachant une âme de monstre, et qui avait sali de ses lèvres de profane sa lune à lui, qui n’avait pas dit non.

Il le savait, mais ne pouvait lui dire, pas comme ça, pas bêtement. Il attendit alors qu’elle finisse le dessert, et entre deux chandelles, sur la table en bois faites de formes irrégulières, il posa le présent au dessus de l’assiette.

-Bon Anniversaire ma chérie. Lui murmura-t-il alors en fixant ses orbites.

Et les lèvres de sa douce chassèrent l’ombre des bougies qui planaient sur ses joues. Ses bras montèrent alors de dessous la table pour ouvrir le paquet. Pendant qu’elle dénouai le ruban de la boite, il eut un moment de panique où il faillit tout lui dire. Lui dire qu’il savait, mais qu’il l’aimait quand même, lui dire que ce cadeau aurait du tout révéler à sa place, de manière plus discrète, plus chaste. Mais qu’il n’en pouvait plus de garder ça en lui, de faire semblant d’avoir encore confiance pour leur laisser une chance. Et que ce putain de cadeau n’était qu’en fait un avertissement.

Mais il ne put rien dire et ne fit que penser. Et le ruban retiré, le présent se dévoila. Un tableau, comme elle les aimait tant, peint à l’huile et représentant un paysage lointain, le bord d’une plage, avec sur le sable, posé, un verre de vin. Un tableau qui n’avait pu être peint que par l’homme de sa vie, parce qu’il aurait tout vu en elle et aurait tout compris sans qu’elle est à parlé. Un homme figé, absolu, parfait.

Les yeux écarquillés de sa lune mensongère le regardèrent alors avec une larme sincère, et toute émoustillé, elle coucha le tableau sur le sol, puis monta sur la table, tombant un verre de vin et puis quelques chandelles, et sauta dans ses bras en lui criant :

-Je T’aime !

Il pleura alors, beaucoup, sans savoir si c’était de rage, car elle n’avait pas vu, ou de joie, parce qu’elle était conquise, mais l’amour prit le pas, chassant les sanglots lourds. Elle était heureuse, là, maintenant et c’était l’essentiel.

Quelques minutes après, la gravité aidant, ils finirent sur le sol, la lune sur son enfant.

Et pendant qu’il voyait sa petite face d’amour qui gagnait en lumière, une goutte de vin glissa du rebord de la table, et terminant sa chute sur un coin du tableau, à l’endroit où le peintre appose souvent son sceau, l’ombre de sa belle, anciennement sur sa peau, vint se poser sur Franck, en effaçant ce mot.

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